Nous avions un rendez-vous qui tenait tellement à cœur aux enfants ! C’était celui avec Henri Matisse au Centre Pompidou prévu le 26 janvier !
Mais bien entendu, nous sommes dans une année, où l’ennemi Public Numéro 1, nous empêche de sortir hors les murs et ne permet pas l’ouverture des Musées !!!
Ce bonheur ne nous étant pas permis, je n’ai bien sûr pas pu emmener les enfants voir les fabuleux découpages de Matisse en live, mais j’ai transporté les enfants dans les œuvres de Matisse d’une autre façon : Nous avons profité de l’excellente visite virtuelle de l’exposition « Matisse comme un Roman » commenté par la commissaire de l’exposition du Centre Pompidou, les enfants se sont régalés de catalogues, des petites histoires de la vie de Matisse que je pouvais leur conter, et ils ont découvert avec admiration et passion les « Découpages » de Matisse, œuvres de la fin de vie de l’immense Maître !
Les enfants n’ont cessé de chercher des anecdotes sur les réalisations des Découpages de Matisse qui les ont beaucoup impressionnés ! Et j’ai trouvé pour eux l’histoire de l’assistante de Matisse, Lydia Delectorskaya qui leur a beaucoup plu !
Puis les enfants n’ont eu de cesse, pendant plusieurs mois, de découper, peindre, réaliser leur propre « Papiers Découpés » ! Le résultat est sublime ! Leurs œuvres sont fantastiques et mériteraient une grande exposition que Matisse aurait adoré !!!!!!
Voici l’Histoire de Lydia Delectorskaya dont je me suis inspirée pour la raconter aux enfants :
Lorsqu’elle entre au service de Matisse, Lydia Delectorskaya n’aime guère poser. Mais l’assistante chahutée par la vie va peu à peu devenir plus qu’un modèle. Prenant part à la création de la dernière série du maître : les papiers découpés.
Jusque-là, il ne l’avait pas vraiment regardée. Même si elle l’a assisté dans l’atelier six mois durant. Même si elle s’occupe d’Amélie depuis plus d’un an. Elle est « la Russe qui soigne sa femme », figure familière croisée entre deux séances de travail, dans les appartements de Madame. Mais en ce printemps 1935, la voilà qui s’abandonne en une pose qui n’appartient qu’à elle, reposant sa tête sur ses bras croisés, appuyés au dossier de son siège.
« Ne bougez plus », souffle soudain Henri Matisse à Lydia Delectorskaya (1910-1996), pour dessiner d’une ligne sensuelle son visage ovale aux traits purs, et ses bras souples. Sans se douter que se noue à cet instant une relation d’une rare intensité. Elle lui inspirera des chefs-d’œuvre comme Le Rêve (1935), tout en puissance et en arabesques, ou cet éclatant Portrait de Lydia Delectorskaya, vert, bleu et jaune (1947). Et le conduira à l’apothéose des papiers découpés et de la chapelle du Rosaire, à Vence. Devenue modèle permanent, à la fois source de ses recherches et témoin de sa création, Lydia trouvera enfin là un sens à son existence.
Naissance en Sibérie.
Elle avait sonné à la porte de l’atelier en 1932, épuisée d’avoir à se battre pour sa survie. Née en Sibérie, elle avait vu, à 12 ans, son père, médecin chef des hôpitaux militaires de la région, emporté par le typhus, et sa mère succomber au choléra. Une tante l’avait recueillie en Mandchourie, où elle avait pu terminer son lycée. Elle rêve alors de suivre les traces de son père. En France, où elle débarque avec les siens en 1928, tout sera possible, pense-t-elle. C’était compter sans les lois restrictives envers les étrangers, le krach boursier, la langue qu’elle maîtrise à peine.
En guise d’avenir, la voilà à Paris, mariée à un compatriote plus âgé. Elle ne tient qu’un an face aux coups assénés, et à la douleur d’un bébé perdu, dont témoigne son amie sœur Jacques-Marie dans le catalogue de l’exposition que le musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis consacra à Lydia en 2010. Un amant l’entraîne à Nice, lui promettant la lune. Mais c’est elle qui le fait vivre en enchaînant les petits boulots : figurante, extra dans un night-club, modèle pour des artistes libidineux, comme le raconte Hilary Spurling dans une impressionnante biographie de Matisse. Aussi, lorsqu’une Russe, croisée au hasard d’un arrêt de bus, l’informe qu’une place d’assistante s’est libérée dans l’atelier d’un vieux peintre, elle s’y précipite.
Un métier “détestable” !
Henri Matisse vit alors un cauchemar. Il doit terminer La Danse, ces panneaux décoratifs commandés par le Dr Barnes pour sa fondation de Philadelphie. Or les cotes données ne sont pas bonnes et il doit s’y reprendre à trois fois, ce qui nécessite de l’aide. Rigoureuse, efficace, ponctuelle, discrète, Lydia fait l’affaire. D’ailleurs Mme Matisse, dont la santé se dégrade, n’hésite pas à faire appel à elle pour lui tenir compagnie. Jusqu’à ce printemps 1935.
Modèle ? Lydia avait toujours trouvé ce métier « détestable ». Mais Henri Matisse est différent. Sa femme et lui veillent à ce que les jeunes filles soient bien traitées, bien payées, toujours nourries. Et puis il a « les manières cérémonieuses de la génération de son père », écrit Hilary Spurling. Pas de sous-entendus, pas de gestes équivoques. Mais pourquoi elle, qui n’est pas « son type » — il a toujours privilégié des méridionales ? Ce sont justement ses yeux bleu foncé, sa peau blanche, ses cheveux blond cendré qui l’intriguent et le ramènent au dessin.
Lydia est à l’aise avec lui, veut comprendre, prend des notes, constitue des dossiers où elle glisse des photos du travail en cours, recueille les commentaires qu’il lui dicte. Elle calme le trac quotidien du peintre face à la feuille blanche. Elle nettoie aussi ses toiles, ses pinceaux, sa palette, assure une part de son secrétariat, lui apprend l’anglais, réaménage l’atelier pour y accueillir des oiseaux exotiques. Jusqu’à ce qu’Amélie éclate.
« Madame Matisse a été la fusée qui a propulsé le peintre à ses débuts, le soutenant financièrement et moralement, rappelle Patrice Deparpe, directeur du musée du Cateau-Cambrésis. Mais lorsqu’il est devenu célèbre, elle n’a plus pu l’aider : elle n’avait plus de jus. À partir de là, elle s’est étiolée. » Voir une autre tenir le rôle qui avait été le sien, cette osmose entre le peintre et son modèle autour du travail de ce dernier, sans qu’il n’ait jamais été question d’adultère, lui est insupportable. « Elle avait renoncé à tout pour bâtir sa vie sur les efforts et l’endurance qu’exigeait le travail de son mari et elle se retrouvait exclue du seul univers qui eût pour elle un sens », poursuit Hilary Spurling.
Congédiée !
« C’est elle ou moi ! », lance-t-elle à son époux. Qui congédie Lydia. Pourtant le couple se sépare en 1939. Matisse embauche alors officiellement la jeune femme comme assistante. Celle-ci tient à marquer le rôle de chacun, porte un tablier dans la journée, vouvoie Matisse qu’elle appelle « patron », préférant dormir dans une chambre de bonne plutôt que dans l’appartement.
Lorsque la guerre éclate, il n’a plus qu’elle. Sa santé vacille, son existence ne tient qu’à un fil. Lydia s’acharne à le maintenir en vie, luttant avec une extraordinaire ingéniosité contre le froid, la faim, la mélancolie, les importuns. Elle l’aide à vaincre son cancer, installe un grand lit en fer forgé au sein de l’atelier pour qu’il puisse continuer à travailler, recrute des modèles, trouve le matériel. Jusqu’à raviver le feu sacré qui aboutit aux papiers découpés, ces grandes feuilles qu’elle gouache et dans lesquelles il découpe des fleurs, des volatiles, des éclairs ou des étoiles, comme un sculpteur taillerait dans la pierre. Elle l’aide ensuite à trouver l’agencement parfait entre ces formes, avant de les coller sur du papier ou de la toile. Révolutionnaire ! « Le peintre résout ainsi le conflit entre la couleur et le dessin qui l’a occupé toute sa carrière », explique Patrice Deparpe.
Lorsqu’en 1948 Matisse se lance dans le projet de la chapelle de Vence, le « chef-d’œuvre de son existence », Lydia en supervise la réalisation, faisant le lien avec différents interlocuteurs. Elle sait qu’il n’en a plus pour longtemps, qu’elle doit tout retenir pour faire vivre son œuvre quand il ne sera plus là. Et qu’importe l’opprobre, la famille qui ne lui parle pas, les dîners où on ne la reçoit pas. Seul compte l’art du « patron ». « Lydia a rajouté des années à la vie de Matisse », insiste Patrice Deparpe. Le jour où il meurt, elle s’en va comme elle était venue, en toute discrétion. Il faudra du temps pour que le monde de l’art et la famille de l’artiste reconnaissent ce qu’elle a apporté à ce dernier. Une mission dont elle s’est acquittée jusqu’à son dernier souffle.