Toujours dans le cadre de notre immersion sur les pas des chercheurs du 19ème siècle qui s’étaient attelés à découvrir l’incroyable complexité de notre Monde, nous nous sommes lancés dans des explorations spatiales à travers notre planète.
En remontant dans le temps, nous avons constaté que le Monde n’a pas toujours été tel qu’il est. De même, au sein d’une même époque, il n’est pas partout pareil. D’un endroit à l’autre du globe, une incroyable variété nous interpelle.
Aujourd’hui il est assez aisé de voyager à l’autre bout du monde. Mais nous avons découvert qu’il y a 200 ans, partir était toute une aventure. Nous avons choisi des suivre les péripéties de l’expédition dirigée par le capitaine Nicolas Baudin à la découverte des Terres Australes. Sur notre planisphère nous avons repéré le parcours que celui-ci devait effectuer en partant du Havre pour atteindre l’Australie.
Il nous fallait ensuite parvenir à nous représenter les conditions dans lequel ce voyage allait s’effectuer, la vie à bord des deux navires affrétés pour l’occasion : le “Géographe” et le “Naturaliste” était loin d’être facile !
Tout d’abord, il y avait beaucoup d’hommes à bord (marins mais aussi scientifiques : botanistes, zoologistes aux diverses spécialités) et peu de place.
A l’exception du capitaine et de quelques rares privilégiés qui bénéficiaient de cabines privées, les hommes (et oui, cela a choqué les enfants mais il n’y avait pas de femme !), devaient se contenter de dormir dans des hamacs les uns contre les autres.
Le mal de mer, le froid, l’humidité, la peur face aux tempêtes d’une ampleur telle qu’elles endommageaient parfois l’équipement (voile déchirée, coque abimée) faisaient partie du quotidien. La furie de l’océan lorsqu’il se déchaine et malmène les pauvres bateaux et leurs occupants, a engendré des réalisations artistiques saisissantes. Ils adoraient particulièrement voir leurs maquettes (que nous avions suspendu au plafond) tourbillonner au-dessus de leur tête au gré du vent dès que les fenêtres étaient ouvertes.
Plus que les contraintes liées à l’exigüité des bateaux et aux conditions météorologiques, ce qui parut bien pire aux yeux des enfants, était la qualité de l’alimentation à bord.
En l’absence de réfrigérateur et encore moins de congélateur pour conserver les aliments, il était impossible de consommer des denrées fraiches. Certains enfants ont évoqué les bocaux et conserves ainsi que les briques alimentaires (telles qu’on en trouve pour les soupes, jus de fruit ou le lait) et furent surpris d’apprendre qu’il y a 200 ans ces conditionnements qui leur semblent on ne peut plus banal n’existaient pas encore ! Les fruits et légumes emportés étaient vite mangés avant qu’ils ne pourrissent. Il fallait ensuite se contenter de viandes ou poissons séchés et salés, de légumes secs (lentilles, pois chiche, haricots etc.), de biscuits de mer (sorte de galettes de pain sec), de riz (sans beurre). Des enfants ont suggéré qu’il aurait fallu prendre quelques poules à bord pour avoir des œufs. Ce qui donna l’idée à d’autres de faire embarquer des vaches puis, face aux critiques soulevées en raison du manque de place, des brebis et des chèvres furent considérées comme plus à propos…
En bateau, on ne peut puiser l’eau en mer ; le sel la rend imbuvable! Il n’y avait qu’à résoudre ce problème en emportant des bouteilles d’eau proposèrent certains, ce qui suscita la réprobation de plusieurs de leurs amis qui soulignèrent que cela pollue. La controverse fut tranchée par un fait indiscutable : ce mode de contenant n’avait pas vu le jour à l’époque de nos explorateurs. L’équipage buvait donc un breuvage trouble à l’odeur nauséabonde auquel il préférait bien trop souvent le substituer par des boissons comme le vin.
La promiscuité, la nourriture peu équilibrée et monotone qui mettait les organismes sous tension, conjugué aux excès de l’alcool créaient de nombreux conflits et il n’était pas rare que les disputes pour des raisons insignifiantes en viennent souvent aux mains. Les enfants avec qui nous abordons souvent la question de la gestion de nos émotions comprirent fort bien ce phénomène. Nous avons en effet souvent évoqué le fait que lorsque nos besoins primordiaux ne sont pas satisfaits (bouger, boire, manger, dormir), on se sent énervé, stressé et qu’alors la moindre contrariété peut déclencher en nous des tempêtes irrationnelles.
Pour parachever le tableau, je leur ai demandé ce qui risquait d’arriver à des hommes affaiblis physiquement et moralement. Là encore comme c’est un sujet que nous abordons fréquemment, les enfants répondirent assez vite : on tombe malade !
Compte tenu de toutes ces difficultés, les enfants ne furent pas si surpris d’apprendre que plus de la moitié de l’équipage décida d’interrompre le voyage et de ne pas remonter à bord après l’escale à l’ile Maurice. Cette mésaventure fit en revanche un heureux dont le destin nous toucha beaucoup: Charles-Alexandre Lesueur. Ce matelot passionné de dessin qui passait son temps libre à faire des croquis fut repéré par le capitaine qui lui proposa de devenir le peintre attitré de l’expédition puisque les illustrateurs engagés pour ce travail avaient tous déserté.
Pourquoi son rôle était-il primordial ? Pour avoir des souvenirs répliquèrent les enfants. Puis en poussant un peu la réflexion, ils firent le lien avec le fait qu’il n’y avait pas encore de moyens de faire des photos ni des films et que par conséquent, les représentations de Charles-Alexandre seraient les seuls témoignages de ce qu’ils avaient découvert en Australie ; elles se devaient donc d’être le plus fidèle à la réalité. Ils admirèrent la minutie de ses dessins où chaque petit détail rend presque vivantes les créatures mises sur papier. Ils voulurent essayer de réaliser à leur tour des aquarelles avec beaucoup de méticulosité.
Nous avons rêvé devant les charmants koalas, ornithorynques, kangourous, les ravissants oiseaux mais aussi devant les poissons et les superbes méduses. Les plantes, magnifiées par le talent de “notre artiste”, nous ont également éblouis. Ces êtres vivants de toute beauté ont bien sûr incité les enfants à réaliser de superbes créations tout comme les artistes et artisans du 19ème siècle qui s’étaient eux-mêmes inspirés des merveilles de la nature pour produire de superbes œuvres.
Au retour de cette fabuleuse expédition, une anecdote retint particulièrement leur attention. Nos petits furent outrés d’apprendre que Joséphine en tant que femme de l’empereur Napoléon (personnage qui les a fascinés) s’était octroyé le droit de sélectionner les plus beaux spécimens (plantes essentiellement mais aussi quelques animaux empaillés ainsi que les 2 émeus nains qui avaient miraculeusement survécu au voyage) pour agrémenter d’une touche d’exotisme son château de Malmaison.
Heureusement, la collection n’avait pas été entièrement pillée et le grand public pu à son tour contempler les espèces du bout du monde, en visitant, entre autres, le Musée d’Histoire Naturelle (qui bénéficiait par ailleurs de ressources rapportées par d’autres expéditions). La Ménagerie et les Grandes Serres (à l’architecture splendide tout de fer et de verre) du Jardin des Plantes permettaient d’admirer des formes de vies inconnues dans nos contrées européennes. Nous avons donc été ravis de pouvoir partir tous ensemble le 18 juin pour y passer une merveilleuse après-midi.
Si les enfants comprirent bien cet engouement du public, ils furent tout de même un peu choqués par les conditions dans lesquelles ces espèces sauvages étaient exposées sans aucun souci de leur bien-être. Les mœurs évoluent et notre rapport en tant qu’Homme à l’Animal a en effet profondément changé avec le temps. Mais à l’époque considérer une bête comme un être capable d’éprouver des émotions n’allait pas de soi.
Parmi les personnes qui ont contribué à modifier notre vision de la place de l’Homme dans le monde du vivant, nous ne pouvions pas passer à côté du fabuleux destin de Charles Darwin…
Les enfants se sont tout de suite attachés à ce personnage qui fut d’abord un petit garçon passionné de Nature qui aimait passer son temps dehors à observer les cailloux, les feuilles, les insectes et autres animaux sauvages en tout genre, et qui, tout comme eux, était capable de s’émerveiller devant une pomme de pin, une plume d’oiseau ou un escargot.
Il comprirent aussi que la posture autoritaire du père de Darwin (qui lui imposait de suivre des études pour devenir médecin puis pasteur en dépit de ses centres d’intérêt) cachait en fait l’inquiétude d’un homme aimant persuadé d’agir pour le bien de son fils.
Après avoir craint que Charles n’obtienne pas l’agrément parental pour pouvoir faire partie de l’expédition à destination de l’Amérique du Sud, ils furent soulagés d’apprendre qu’il put embarquer à bord du «Beagle» et participer à une fabuleuse aventure d’exploration.
Malgré les conditions plus que difficiles du voyage, leur « nouvel ami » ne s’est jamais plaint et a toujours fait preuve d’un enthousiasme débordant. Nous nous sommes imaginés comme lui découvrant la jungle amazonienne ou la pampa argentine, fusil à l’épaule pour parer à tout danger, campant à la belle étoile et cherchant à collecter le maximum d’échantillons et/ou croquis d’une flore et d’une faune si riche et variée, munis de calepin, de loupes, de filets et de récipients en tout genre pour capturer et préserver intactes des espèces encore méconnues.
Comme Charles, nous nous sommes posé cette question : qu’est-ce qui peut expliquer une telle diversité parmi des animaux en même temps si ressemblants et si différents d’un lieu à un autre?
Pour nos petits scientifiques en herbe sa théorie sur l’Evolution était d’une logique absolue. Ils suivirent parfaitement le cheminement de sa réflexion selon laquelle le hasard produit des modifications entre parents et enfants et que par le fait de la sélection naturelle ceux dont les caractéristiques favorisent la survie dans un endroit donné, se reproduiront d’avantage en transmettant à leur progéniture ces nouveaux attributs, aboutissant peu à peu à l’apparition d’une nouvelle espèce. En revanche, ils eurent plus de mal à comprendre pourquoi Darwin hésita tant à publier le livre dans lequel il expliquait sa conception et pourquoi lors de sa parution, cela déclencha tant de critiques violentes. Les enfants réalisèrent qu’il est parfois difficile de laisser place à une idée nouvelle qui bouleverse ce que l’on croyait comme étant la vérité ; notre cerveau n’aime pas trop le changement… Cela donna lieu à de longues conversations philosophiques passionnées !