En lien avec l’exposition « Arts et préhistoire » qui s’est tenue au musée de l’Homme (de nov. 2022 à fin mai 2023), nous nous sommes demandés à quoi pouvait ressembler la vie des premiers habitants de notre pays.
Le premier étonnement des enfants fut de découvrir qu’il y a plusieurs milliers d’années la France n’avait pas tout fait le même décor que celui qu’ils connaissent. Bien sur les villes et leurs réseaux d’infrastructures (familiers de nos petits citadins) n’existaient pas ; mais même les paysages naturels préservés de l’urbanisation tels qu’ils peuvent les voir aujourd’hui, ne correspondent pas à ceux de l’époque où les premiers humains se sont installés dans nos régions.
En effet, en ce temps-là, le climat était fort différent : beaucoup plus froid et sec. Non seulement la neige couvrait les lieux pendant une large partie de l’année mais, en raison de cette atmosphère extrêmement rigoureuse, la végétation qui nous est familière ne pouvait pousser. Point de grandes forêts (contrairement à ce que beaucoup imaginaient), les terres étaient en réalité couvertes de grandes étendues d’herbes rases avec quelques arbustes. Afin de les aider à se représenter ce décor peu commun, je leur ai montré des images de steppes, telles qu’il en existe encore au nord de l’Alaska ou de la Sibérie.
La faune elle aussi était pour le moins surprenante. Les rennes (désormais symboles des contrées gelées du père Noël) parcouraient en grands troupeaux nos territoires où l’on pouvait aussi croiser d’incroyables créatures aujourd’hui disparues, comme le mégacéros (un cerf géant), le rhinocéros laineux, le lion des cavernes ou l’impressionnant mammouth. Les enfants ont été fascinés par ces animaux dont nous avons observé attentivement de nombreuses représentations. Nous avons également eu la joie de voir ces bêtes phénoménales prendre quasiment vie grâce à de remarquables petits films d’animation réalisées en images de synthèse.
Le contexte posé, les enfants se sont attelés avec passion à trouver les réponses à leurs propres questionnements.
Tout d’abord, comment nos lointains ancêtres étaient-ils habillés ?
Grâce aux nombreux livres illustrés à leur disposition, ils ont vu que les hommes préhistoriques portaient des fourrures d’animaux. Plus difficile fut de deviner en quoi étaient réalisés les vêtements plus légers ; rien à voir avec les tissus dont sont fait leurs propres tenues. Certains ont déclaré qu’il s’agissait de « peaux de bête », mais il leur fallu du temps pour comprendre ce que cela signifiait vraiment. De courtes vidéos documentaires sur le tannage du cuir les ont aidés à faire le lien entre la matière brute issue de l’animal et le produit fini que l’on peut ensuite coudre. Ils ont d’ailleurs eu l’occasion de réaliser eux-mêmes une petite bourse en vrai peau. Les enfants, qui pour se faire ont utilisé une perforatrice et une aiguille en métal, se sont demandés si ces outils existaient à la préhistoire. Oui, à quelques nuances près : nos ancêtres, fins connaisseurs des propriétés des divers matériaux naturels à leur disposition et extrêmement habiles, étaient de talentueux tailleurs qui savaient notamment fabriquer des perçoirs en pierre et des aiguilles en os. Quant au fil, les enfants ont tout de suite eu l’idée que pouvaient être utilisées des tiges et même des morceaux d’écorces (lors de nos sorties en forêt, nous avions ramené des morceaux de bois mort dont les fibres se détachaient). Ils furent en revanche surpris mais captivés, par le fait, qu’était aussi employé pour réaliser des fils souples et solides, les intestins des animaux.
Les animaux étaient non seulement d’une grande utilité pour permettre aux hommes de se vêtir, mais ils leur fournissaient aussi une source importante de nourriture. Comme nous, les hommes préhistoriques mangeaient de la viande.
« Avait-elle le même gout que celle que nous consommons ? » se sont interrogés les enfants. Après réflexion, ils ont conclu que non, puisqu’elle provenait d’animaux qui n’avaient rien à voir avec ceux que nous pouvons aujourd’hui retrouver dans nos assiettes
Autre différence majeur: ils n’allaient pas dans un magasin pour y acheter un morceau près à être cuit puis dégusté.
Il fallait d’abord aller à la chasse. Les enfants ont adoré que je leur raconte de nombreux récits sur le sujet. Ils se sont passionnés pour les diverses techniques exploitées : concernant non seulement la fabrication d’armes de plus en plus perfectionnés (du simple épieu à la sagaie avec pointe en silex, défense de mammouth ou bois de renne associée à un propulseur, du modeste lance pierre à l’arc élaboré), mais aussi à propos des ruses utilisées pour piéger le gibier. Réussir à dépasser ses craintes, compenser par son intelligence le rapport de force qui nous est défavorable (d’un point de vue purement physique), unir ses forces à celles de ses pairs pour parvenir à ses fins, sont des valeurs qui ont marqué les esprits des enfants.
Ils ont beaucoup joué à organiser entre eux de grandes parties de chasse dans le jardin ou à l’intérieur avec des figurines ou de simples pièces de jeux de construction.
Une fois la bête tuée, ils ont pris conscience que le travail était loin d’être achevé. Il fallait dépecer l’animal avec soin car (et nous avons particulièrement insisté sur ce point) presque tout était exploité par les hommes préhistoriques. Ils prélevaient la peau qu’ils devaient ensuite traiter en de nombreuses étapes (que j’ai dû détailler pour assouvir leur curiosité), mais aussi les boyaux qui devaient eux aussi être précautionneusement préparés, les sabots etc. Par ailleurs, ils consommaient tout ce qui pouvait l’être : non seulement la viande, mais aussi ce que l’on appellerait aujourd’hui les abats, le sang ou la moelle des os. Si cela leur parut dans un premier temps dégoutant, ils finirent par considérer que c’était une pratique intelligente et honorable: en ne gâchant rien, on respecte pleinement la créature qui a “donné” sa vie pour la nôtre.
La viande pouvait ensuite être cuisinée. Là encore, ils ont cherché à deviner comment leurs ancêtres procédaient en l’absence de tous les équipements que nous possédons. La première évidence est qu’il leur fallait faire du feu. Nous avons visionné de courtes vidéos montrant plusieurs techniques d’allumage que les enfants ont cherché à reproduire en vain malgré leur ténacité ; réalisant ainsi d’autant mieux l’incroyable défi que devaient relever les hommes de la préhistoire. Une fois cette étape essentielle effectuée, la viande pouvait être rôtie, braisée, grillée ou même bouillie dans une outre et assaisonnée d’herbes aromatiques. Aucune raison de penser qu’à l’époque les hommes n’étaient pas de fins gourmets, qui loin de manger par pure nécessité, le faisait aussi par plaisir.
Une autre question fut soulevée : comment conserver la viande qui n’était pas tout de suite consommée ? Ils ont pu constater que leurs parents placent la viande au réfrigérateur ou au congélateur « pour éviter qu’elle pourrisse » ont-ils précisé. Les hommes préhistoriques devaient donc aussi chercher à préserver cette précieuse denrée en la mettant au froid: dans la neige ou la glace. Belle déduction; mais, bien que nous étions alors en pleine période glaciaire, neige et glace faisaient parfois défaut.
Je leur ai donc parlé de la méthode du séchage et du fumage qui permet d’empêcher la dégradation du produit et lui donne en plus une saveur particulière si appréciée que ce procédé s’est perpétué jusqu’à nos jours.
Les hommes préhistoriques ne mangeaient-ils que de la viande ? Leurs repas devaient, tout comme les nôtres, être aussi parfois composés de poissons, ont immédiatement songé les enfants. “Facile”, pour ceux qui vivaient dans les zones côtières ; mais comment faisaient tous ceux qui, comme nous le montre bien la carte de France (à laquelle nous nous référons souvent pour tenter d’avoir une vision globale de notre pays), étaient éloignés des mers ? En effet les déplacements étaient complexes : pas d’avions, ni de trains ou de voitures bien sûr. Mais, pas non plus de possibilités de parcourir de vastes étendues à cheval : ces derniers étaient encore totalement sauvages (l’homme mettra de longues années avant de parvenir à le domestiquer). Plus étonnant encore peut-être, il était même impossible de tirer ou pousser une charrette : la roue n’ayant pas encore été inventée!
A force de réflexion, les enfants résolurent l’énigme du poisson au menu des hommes de l’intérieur des terres : les rivières ! Elles sont peuplés de poissons (même si aujourd’hui, ces derniers sont moins fréquents sur les étals de nos poissonneries et donc moins connus de nous).
Les hommes préhistoriques mangeaient aussi comme nous des fruits et des légumes, mais ils ne les cultivaient pas. Ils allaient les chercher là où ils poussaient spontanément ; ce qui implique qu’ils possédaient une connaissance des plantes bien plus importante que la plupart d’entre nous. En effet, livrés dans la nature, nous serions bien embarrassés si nous devions trouver parmi les végétaux qui nous entourent ceux que nous pourrions consommer. Face à ce constat, nous nous sommes lancé le défi d’apprendre à connaitre les plantes que l’on rencontre dans notre environnement quotidien. Nous avons découvert avec émerveillement que, parmi toutes celles que l’on croise communément, nombreuses sont celles qui peuvent être dégustées crues ou cuites, dans leur totalité ou seulement partiellement. (Pour plus de détails voir le blog sur notre engagement plantes).
À travers toutes ces recherches sur l’alimentation de nos lointains ancêtres, nous avons pris conscience que loin d’avoir des menus peu élaborés, ils avaient des repas variés plutôt appétissants. Nous avons organisé un déjeuner préhistorique avec des œufs brouillés (de poule d’élevage malheureusement), des champignons crus, des oignons nouveaux braisés, de la viande de bœuf (à défaut d’auroch ou de bison) séchée, du saumon fumé ainsi qu’un délicieux mélange de baies séchées et un assortiment de noix. Le tout fut bien sûr savouré avec les doigts : un régal !
Pour faire face au climat rigoureux de l’époque, des vêtements, de bons repas ne suffisent pas, il faut aussi un abri.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, les hommes préhistoriques n’habitaient pas dans les grottes à l’intérieur desquelles l’atmosphère est froide et humide et où, de surcroit, il fait noir ! En revanche, l’entrée des grottes était un endroit privilégié. Nous avons joué avec les lits à construire notre propre abri sous roche aménagé avec des couvertures en guise de peaux de bêtes.
Les enfants ont été surpris en réalisant, à travers l’observation des documents à leur disposition, que, parfois, les tentes étaient construites avec des os. En effet le bois était rare à l’époque, et il fallait bien trouver une solution, quand celui-ci venait à manquer, pour bâtir la structure de leurs huttes.
Ce qui charma le plus les enfants, fut la vie nomade de ces campements. L’idée de déménager périodiquement, accompagnés de toute sa tribu, tout en revenant régulièrement aux mêmes endroits, leur paraissait une aventure enivrante.
Enfin, très pragmatiques, les enfants ont voulu savoir comment les hommes préhistoriques se soignaient s’ils étaient malades ou blessés. Là encore, c’est dans la nature qu’ils trouvaient les ressources nécessaires. Sur les traces de nos ancêtres, nous avons ainsi découvert de nombreux remèdes naturelles : le miel, l’argile et surtout de nombreuses plantes tout à fait banales qui ont des propriétés fabuleuses pour soulager nos maux de tête, de gorge, de ventre, apaiser nos petites plaies (piqures, coupures, hématomes).
Notre enquête sur la préhistoire, nous a fait réaliser, à quel point l’homme ne peut concevoir son existence sans celle de la Nature. Non seulement, elle est belle et on se sent heureux son contact (à la fois joyeux et apaisé), mais elle nous procure aussi de quoi assouvir nos besoins fondamentaux. Dans nos univers urbains, on est parfois déconnecté de la Nature, mais au travers de cette approche, nous avons pris conscience que la nature est essentielle à notre vie.
L’un des personnages, propre à ces clans préhistoriques, qui a le plus marqué les enfants, est le chaman. Justement, parce qu’il est celui qui a pleinement conscience que nous faisons partie d’un tout sur cette Terre et que, pour être épanoui, nous devons vivre en harmonie avec le monde qui nous entoure. Les enfants ont réalisé un grand tableau de leur vision du chaman ; ils ont adapté sous forme de film, avec des marionnettes en papiers de leur cru, une histoire dont le héros découvre son destin de chaman (d’après le très beau livre « Grand Ours » de François Place) ; ils ont confectionné toute une tenue de chaman : collier, amulette, coiffe et bâton de cérémonie qu’ils ont portée (assortie d’un maquillage tribal) pour défiler sur une musique de circonstance devant l’assemblée des moyens et des grands réunis. Les enfants ont vraiment été fascinés par ce concept: être capable d’entrer en “communication” avec les forces de la Nature, que concrétise la figure du chaman.
Nous nous sommes bien sûr plongés avec fascination dans l’art pariétal. Par-delà la beauté des œuvres que nous avons pu admirer, c’est leur caractère énigmatique qui a principalement interpellé les enfants. Pourquoi avoir choisi de réaliser ces peintures dans ces lieux si difficiles d’accès: au cœur même des entrailles de la Terre ? Pourquoi ne représentaient-ils que des animaux et plus particulièrement des gros mammifères ? Que symbolisent ces signes abstraits (points, traits) qui ornent aussi les parois des grottes ? Nous avons discuté autour des diverses interprétations émises par les plus grands paléoanthropologues.
Si les enfants ont adoré se prendre pour des scientifiques tentant de percer les mystères de l’art pariétal, ils ont encore plus aimé s’imaginer être des spéléologues explorant l’une de ces fameuse grottes ornées, tels ceux qui ont découvert la célèbre grotte Chauvet en Ardèche. Je leur ai conté l’histoire de ces 3 amis (spéléologues amateurs) qui ont été intrigués par un trou dans la paroi d’une falaise, ont voulu voir s’il était possible d’y pénétrer et, à force de courage et détermination, ont fini par arriver au cœur d’une immense cavité souterraine. C’est alors, qu’à la faible lueur de leurs lampes frontales, ils ont eu la surprise de découvrir que la roche était couverte de peintures toutes plus remarquables les unes que les autres. Afin que les enfants puissent s’approprier et saisir l’intensité émotionnelle de cette aventure, nous avons tenté (avec le matériel à notre disposition) d’en reconstituer le décor et, chacun a pu interpréter les différents protagonistes lors de ces premiers moments de la découverte puis de la révélation de leur secret jusqu’à la diffusion de la nouvelle au grand public. Les enfants n’ont eu de cesse par la suite de rejouer à être Jean-Marie Chauvet, Christian Hillaire ou Eliette Brunel. Ils ont retranscrit dans leurs dessins (avec beaucoup de détails) ce qui les avait particulièrement marqués dans cette épopée au dénouement fantastique. Beaucoup souhaitent bien évidemment aller visiter la reconstitution de la caverne du Pont d’Arc, pour de vrai ! En effet, grâce aux nombreux films réalisés, nous avons déjà eu un peu l’impression d’être dans ces lieux fabuleux. Mais cela n’a fait qu’attiser leur désir de s’y rendre réellement, même s’ils ont bien compris qu’il était impossible de pénétrer dans la grotte originale pour des raisons de préservation. Loin d’en être déçus, ils sont enthousiasmés par l’idée d’aller un jour visiter sa doublure. Toute l’épopée qu’a été (comme je leur ai expliqué) sa réalisation, les a fascinés. Quel chantier incroyable en effet, faisant intervenir des spécialistes aux compétences si différentes, amenés à travailler ensemble pour faire aboutir ce projet titanesque.
Cette passion pour la préhistoire a donné naissance à de magnifiques œuvres réalisées par des petits artistes ravis de donner vie à leur tour à des rhinocéros laineux, des mammouths, des lions des cavernes etc.
Les enfants ont également réalisé des sculptures en argile inspirées par les célèbres vénus paléolithiques: des statuettes de femmes aux attributs féminins (seins, ventre, fesses) particulièrement prononcés. Comme les chercheurs eux-mêmes, nous nous sommes interrogés sur la symbolique de ces figurines aux formes si caractéristiques.
L’art rupestre fascine car, par-delà sa beauté, il s’en dégage un mystère : au-delà de ce qui est représenté formellement, un sens fantasmagorique en ressort.
De nombreux grands artistes “modernes” ont eux-mêmes été subjugués par ces premières traces de notre humanité. Nous nous sommes notamment arrêtés sur l’œuvre de Joan Miro appelé « bleu I », « bleu II » et « bleu III ». Ces traits rouges et ces points noirs rappellent indéniablement les signes typiques de l’art préhistorique et leur agencement dans l’espace évoque une histoire (personnelle à chaque observateur). Les enfants se sont amusés à se réapproprier le tableau de Miró pour écrire leur message à partir de signes abstraits très simples.
En nous questionnant sur la Préhistoire, nous nous sommes aussi beaucoup interrogés sur nous Humains : quels sont nos besoins essentiels (besoins physiques, relationnels, spirituels) et comment nous y répondons en lien avec tout notre environnement et donc quelle place nous octroyons nous sur notre Terre.